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Le lamrim, la voie progressive vers l'éveil

Les rencontres qu'il fit en sortant de son palais avaient profondément frappé le jeune prince Siddhartha, le futur Bouddha Shakyamouni : il réalisa soudain que seul, nous naissons ; seul nous tombons malade, nous vieillissons et mourons, pour renaître encore et encore. Et ce, depuis des temps sans commencement. Nous sommes soumis sans interruption aux différents niveaux de souffrance du samsara, le cycle des naissances successives, reprises sans liberté sous la force des karmas (nos actes sur le plan physique, oral et mental) et des kleshas (les facteurs perturbateurs de l'esprit).

Parmi les divers chemins exposés par le Bouddha pour échapper à cette situation, le bouddhisme préservé au Tibet jusqu'en 1959 est de tradition mahayana, ou "grand véhicule", c'est-à-dire qu'il met l'accent sur le développement de l'altruisme. Son enseignement se présente principalement sous la forme de la voie progressive menant à l'éveil complet d'un bouddha. Cette approche a été tout particulièrement développée par Djé Tsongkhapa (1357-1419), fondateur de l'école guélougpa. Elle s'appuie sur de très nombreux soutras du Bouddha Shakyamouni, sur les traités et commentaires des pandits indiens dans les siècles suivants, ainsi que sur les instructions des maîtres tibétains Kadampa, héritiers spirituels du grand pandit indien Atisha Dipamkara (982-1054), et sur leur texte de référence la Lumière de la Voie vers l'Eveil (Lamdreun).

A son arrivée au Tibet au milieu du 11ème siècle, Atisha compose cet ouvrage à l'intention de ses disciples tibétains. Il constitue la quintessence des enseignements du Bouddha, aussi bien des tantras que des soutras, et explicite le sens caché du Prajñaparamita soutra (Soutra de la perfection de la sagesse, énoncé par le Bouddha), à savoir le nombre, la nature et l'ordre des étapes de la voie spirituelle à méditer. Le Lamdreun définit également trois niveaux de pratiquants selon l'ampleur de leurs objectifs.

Le pratiquant de motivation inférieure désire seulement échapper aux situations les plus difficiles du samsara, et n'aspire qu'à des renaissances dans de bonnes conditions. Pour cela il s'adonne notamment à l'éthique d'une stricte observance de la loi de causalité, en cultivant les causes de bonheur et en s'abstenant des causes de souffrance.

Le pratiquant de motivation moyenne poursuit la réflexion : il ne peut plus se contenter de naissances favorables, certes nécessaires mais limitées dans le temps et dépourvues de fiabilité. Il aspire donc à se libérer définitivement du cycle des existences, en éliminant les états d'esprit négatifs et perturbés grâce au développement de trois qualités, portées à un niveau supérieur : l'éthique qui neutralise les perturbations au niveau grossier, la concentration qui agit sur leur niveau subtil, et la sagesse percevant le non-soi, remède véritable à l'illusion qui maintient dans le samsara.

Se fondant sur les compréhensions précédentes, le pratiquant de motivation supérieure voit beaucoup plus loin, il prend en considération les souffrances de l'infinité des êtres plongés comme lui dans l’abîme du cycle des existences. Comment alors pourrait-il continuer à ne rechercher que son propre bien ?

Menée à son terme, cette analyse constitue l'essence même du mahayana : mû par une compassion incapable de tolérer plus longtemps la situation des êtres, et déterminé à les en libérer par tous les moyens, le pratiquant décide d’éliminer graduellement en lui tout défaut et de développer à l'infini toutes les qualités. Il comprend en effet que seules les facultés extraordinaires caractérisant l'éveil complet d'un bouddha permettent d'oeuvrer de manière illimitée pour les êtres, notamment en les guidant par des instructions ou en leur montrant l’exemple.

Cette pensée d'obtenir l'éveil afin d'être en mesure d'accomplir le bien des êtres n'est autre que l'esprit d'éveil, bodhicitta ; d'abord produit de manière volontaire, l'esprit d'éveil finit à force d'entraînement par devenir spontané, faisant du pratiquant un bodhisattva, un fils des Victorieux.

Le lamrim décrit donc l'ordre précis des qualités spirituelles à développer pour que naisse en soi l'esprit d'éveil, porte d'entrée du mahayana, et à partir de là, celles à cultiver par le bodhisattva dans sa progression vers la bouddhéité.

Outre le renoncement au samsara et l'esprit d'éveil, le pratiquant doit s'appliquer également aux vues excellentes établissant la vacuité, mode d'être véritable des phénomènes. Ces trois qualités essentielles de la voie spirituelle, ou "trois principes du chemin", lui permettent de s'engager avec fruit dans la pratique des tantras, méthodes spécifiques permettant de réaliser rapidement l'état de bouddha.

A la suite de Djé Tsongkhapa, les grands maîtres de la tradition guélougpa composèrent de nombreux textes exposant le lamrim, en mettant l'accent sur tel ou tel aspect de leur expérience. Huit de ces lamrim sont reconnus comme principaux :

De nos jours, on ajoute un neuvième lamrim : la Libération suprême entre nos mains de Pabongkha Rimpotché (1878-1941) ; il s'agit d'un enseignement détaillé et complet de la voie progressive donné en 1921, dont la transcription fut effectuée par son disciple Kyabdjé Trijang Rimpotché et publiée en 1958 à Lhassa.

Les enseignements dispensés par le Vénérable Dagpo Rimpotché s'appuient sur ces grands textes ainsi que sur les soutras et tantras exposés par le Bouddha, avec leurs commentaires indiens.